Bienvenue au monde by Anna Roy

Bienvenue au monde by Anna Roy

Auteur:Anna Roy [Roy, Anna]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Éditions Leduc
Publié: 2015-04-06T03:00:00+00:00


Certes. Il y avait un fond de vérité. Nous nous engageâmes dans une discussion follement intéressante sur le sens de la profession de sage-femme, sur Dieu et les esprits. Nous confrontions nos cultures et plus la conversation avançait, plus nous riions de bon cœur. Au fur et à mesure que le temps passait, la gueule de bois se transformait en gueule molletonnée.

La grand-mère me servit alors une drôle de décoction censée faire disparaître l’étau qui enserrait ma tête. Un bol rempli d’un liquide marron non identifié me fut servi. Le goût de ce breuvage était absolument indescriptible, j’avais l’impression de boire du jus de feu de cheminée agrémenté de sirop d’orange amère. Je ne demandai rien quant à sa composition, je préférerais ne pas savoir. Tout d’abord, la tisane m’acheva et je fus à deux doigts de vomir. Mais avec force et ténacité, je repris rapidement mes esprits.

Quelques minutes après, la patiente arriva. Je pris le temps de la regarder. Comment diable une femme qui avait eu une césarienne cinq jours plus tôt et qui était déjà mère de sept enfants pouvait-elle être plus en forme que moi ? Sa seule vue me rabattait le caquet. Mais je n’étais pas là pour m’ébaudir outre mesure. Je saisis ma trousse, mon ôte-agrafes, du désinfectant et quelques compresses et la suivis jusqu’à son lit.

En un rien de temps, je lui retirai les derniers stigmates de son accouchement, et entrevit du même coup la fin de ma première visite. Bien entendu, je terminai mon examen : tension, pouls, palpation de l’utérus, vérification des conjonctives, examen des seins, examen des mollets, pesée de l’enfant, vérification du cordon, etc. Une première visite sympathique, au demeurant.

Mais tout ne se passa pas comme je l’avais imaginé. La journée bascula à ce moment-là. La patiente m’invita à prendre le repas avec les hommes de la famille. Dans certaines régions du Mali, les sages-femmes partageaient, avec les hommes, la faveur de manger de la viande et de fumer du haschich avec le chef du village. Je refusai poliment, d’autres patientes m’attendaient. Et puis, comme l’expérience me tentait, que l’honneur me flattait, et que mes trois autres visites ne commençaient que l’après-midi, j’acceptai sa proposition.

Je me retrouvai donc au milieu de six hommes d’un certain âge. Le plus jeune devait avoir quarante ans. J’étais drôlement intimidée. J’écoutai leurs mots avec attention. Leurs histoires d’esprit commençaient à me faire peur.

– Vous savez, vous êtes connectée avec les esprits des morts comme avec ceux des enfants qui arrivent. Dieu a un grand projet pour chaque sage-femme. Vous êtes les mains de Dieu sur la Terre. On ne rigole pas avec ces choses-là !

Quant à la nausée et à mon mal de tête, ils avaient repris de plus belle. Évidemment, je refusai la pipe : une seule bouffée m’aurait suffi pour tomber dans les pommes.

Un grand plat arriva sur la table. Il s’agissait de viande qui nageait dans une sauce grisâtre. Était-ce du poulet ? Du bœuf ? Impossible à déterminer. Je les imitai, saisis une galette que je remplis généreusement.



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